- vue le 31 octobre au Musée d’Art Moderne
Difficile pour l’exposition Dana Schutz de se faire une place à côté du mastodonte De Staël dans le même bâtiment. Le point positif, c’est que l’on a très peu de queue à faire, et moins de visiteurs qui viennent se placer devant vous pour prendre une photo médiocre et repartir aussitôt. Je découvre Dana Schutz et c’est une bonne surprise : des toiles très riches, dont les couleurs enrobent et enchantent la brutalité première des œuvres. On a parfois du mal à entrer dans les peintures, à se poser devant, tellement elles sont véhémentes ; mais une fois qu’on y est, on y reste. Amusé et intrigué en entrant, je ressors épuisé, bien que satisfait et repu : Dana Schutz demande beaucoup du spectateur. À noter que la muséographie, assez faible, ne m’a pas poussé à rester plus longtemps. Il est à mon avis bien plus facile de passer trois heures dans l’exposition voisine, De Staël étant bien plus accessible que Schutz. Comme quoi, l’abstraction ne présente pas forcément plus de barrières que la figuration.
Dana Schutz rayonne et fascine !
Les œuvres exposées vont du début des années 2000 à aujourd’hui. Il y a des peintures, des eaux-fortes, des sculptures et des dessins. Le plus intéressant demeure à mon goût les peintures, qui sont souvent massives. Elles deviennent même de véritables fresques après la période du COVID.
Les premiers tableaux exposés, dont le corpus des « Self Eater » (2003-2004) ont particulièrement accroché mon regard. Ce sont des tableaux charnus, sur lesquels parfois le regard rebondit. Il est en effet difficile d’obtenir un regard qui embrasse la toile en entier. Elles foisonnent de détails, de touches qui envoient l’œil d’un côté à l’autre de la toile. Les encarts citent à plusieurs reprises Brueghel l’Ancien. On tisse aussi le parallèle avec Jérôme Bosch : les peintures immenses proposent des scènes dont chaque recoin raconte sa propre histoire. On visite les tableaux de Dana Schutz. La série des « Self Eater » pourrait être légèrement horrifique, mais son côté carnavalesque la garde de tomber dans une simple esthétisation du démembrement et de la chair artistiquement découpée. Au contraire, comme le souligne à nouveau les textes de l’exposition, il y a là l’idée que les figures ne s’auto-consument que pour renaître ensuite. Elles créent de nouvelles formes.

On est fascinés par ces personnages, on cherche à les décrypter ; il s’agit là de comprendre à la fois leur existence en elle-même et ce qu’ils peuvent symboliser. Il y a un côté surréaliste plus ou moins accentué dans ces œuvres. Je me suis surpris à sourire à plusieurs reprises en m’asseyant devant l’une ou l’autre de ces peintures. Je pense notamment au fascinante Presentation. Deux corps en pièces sont exhibés devant une foule aussi curieuse que nous. Ils se décomposent et pourtant il n’y a rien de répugnant. Sont-ils des arlequins, les larrons exhumés, ou bien de purs symboles ? Dans l’interview de l’artiste diffusée à la fin de l’exposition, Schutz dit qu’elle conçoit les peintures comme des personnes avec qui on parlerait en tête-à-tête, qui auraient leur propre vision de la réalité. Il revient au spectateur – ou plutôt l’interlocuteur – de les comprendre comme s’ils s’agissaient de quelqu’un d’autre. Le rapport qu’établit Schutz entre les œuvres et le regard qu’on leur porte est donc très riche.
J’ai moins accroché à ses tableaux les plus récents. Ils ont moins de volumes et de textures qui accrochent l’œil, son style a évolué. Ce qui n’est pas un mal en soi. Mais je les trouve moins drôles, moins curieux, bien que toujours aussi abrupts. J’ai moins pied. Mais c’était aussi peut-être l’effet de la fatigue ; mon regard se sera essoufflé. Je reviendrai en tout cas à Dana Schutz quand je le pourrai. Ses peintures sont magnétiques et proposent chacune une discussion différente. Je cite là encore Schutz : pour elle, la peinture est un espace où les problèmes peuvent être discutés, même s’ils n’y seront pas forcément résolus. La métaphore de la discussion est à nouveau très fertile. En y repensant, je me dis que je me suis peut-être simplement fermé à la discussion sur la fin de l’expo, de même qu’on a du mal à papoter avec des gens lorsqu’on est un peu crevé.
Bref, allez voir De Staël, évidemment, mais n’oubliez pas Dana Schutz.
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