The Confessions – texte et mise en scène d’Alexander Zeldin

  • vu le 5 octobre 2023 à l’Odéon (6e)

(spoilers)

Une pièce qui peine à convaincre et reste somme toute oubliable. Je n’ai malheureusement jamais vu les autres créations de Zeldin – Love, Une mort dans la famille ou encore Faith, Hope and Charity – qui avaient l’air d’être plus denses et captivantes. La présentation sur le site internet rappelle justement qu’elles prenaient place dans un seul et même espace théâtral. Ici, on passe d’une époque à l’autre, d’un espace à l’autre. Bien que cela puisse donner lieu à des transitions et changements de décor à vue classiques, mais efficaces visuellement, cela n’aide en rien à la cohésion de la pièce qui laisse à désirer. 

On suit les pas d’Alice, figure fortement inspirée de la mère de Zeldin, que celui-ci a interrogée pendant un long entretien pour obtenir la matière première de sa pièce. L’idée est de créer une fiction la plus réelle possible, afin de représenter une vie à laquelle les spectateurs puissent s’identifier. En bref : le naturalisme. Ça n’a rien de révolutionnaire, et de fait, ça laisse un peu de marbre. 

En théorie…

Zeldin a voulu parler des violences sexuelles en retraçant le parcours d’une femme artiste dans un milieu très masculin. Ses intentions sont évidemment louables. Seulement on a l’impression qu’il n’en fait rien. En lisant le programme, je m’attendais à la représentation d’un fort traumatisme, et m’interrogeais sur la représentation naturaliste du traumatisme sur scène. Briserait-il son cadre très réaliste pour développer une esthétique qui souligne les répercussions des violences sur la vie des femmes, puisque c’est visiblement ce dont-il veut parler ? Eh bien non. L’actrice qui interprète Alice jeune (Eryn-Jean Norvill) est représentée couchée au sol, tandis qu’une Alice d’aujourd’hui, âgée (Amelda Brown) se regarde avec pitié et colère. Je reconnais que cela puisse sonner juste – et les acteurs, au demeurant, sont bons – mais cela ne m’émeut pas. 

Le metteur en scène affirme dans le programme : « Le théâtre est un médium très juste pour ça, parce qu’il ne prend pas de prisonnier. On ne peut pas vraiment tricher au théâtre. Soit c’est vivant, soit ce n’est pas vivant. ». Malheureusement je trouve que cela manque de « vivant ». De mon point de vue d’homme, il m’est impossible de saisir l’ampleur du traumatisme féminin. Mais Zeldin est aussi un homme, et il prône la visée universelle de son spectacle. Si je ne comprends pas, si cela ne me touche pas, alors je conclus qu’il n’a pas atteint son but. On peut pourtant noter l’engagement de son casting dans des entreprises féminines et féministes : Norvill a co-fondé Safe Theatres Australia pour lutter notamment contre les agressions sexuelles dans le cadre du théâtre ; Imogen Knight, la chorégraphe, entretient selon son site « de forts liens avec la CLEAN BREAK Theatre Company », compagnie exclusivement féminine qui travaille avec des femmes sortant de prison. On aurait pu s’attendre à un traitement plus novateur de ces problématiques contemporaines au plateau. 

… et en pratique ?

Que garder alors du spectacle ? Quelques procédés théâtraux bien trouvés sont satisfaisants esthétiquement, mais demeurent sous-utilisés et, a fortiori, banals. On peut penser à ce mur de scène à l’intérieur de la cage de scène. Zeldin, avec son scénographe Marg Horwell, crée une scène dans la scène, mais n’exploite qu’à-demi ce dispositif pourtant innovant. Ainsi, il le retourne, de sorte que le spectateur a l’impression de voir la scène depuis les coulisses. Il s’en sert plus généralement pour représenter le passé, tandis que la rampe représente un présent depuis lequel regarde une Alice âgée qui s’adresse plus ou moins au public. Une mise en abyme peu employée, donc. Quelques autres thèmes sont lancés mais n’aboutissent pas : Watteau et sa peinture semblaient être un point pivot du spectacle. Ils ne sont en fin de compte que le sujet qu’Alice étudie, et qui finira aux oubliettes dans l’économie générale de l’intrigue. Par ailleurs, Zeldin rappelle que l’entretien avec sa mère était un point de départ pour sa pièce. En faisant le choix de représenter les enfants d’Alice à la fin de la pièce, il remet le sujet sur la table… pour ne l’évoquer que trente secondes avant que la pièce ne se termine.

Parlons donc de la fin : celle-ci semble mise en scène à la va-vite, comme s’il avait manqué de temps, ou qu’il voulait vite abréger, à juste titre, une pièce qui commençait à traîner. Alice rencontre un homme de dix ans de plus qu’elle, Jacob, qui meurt en l’espace de dix minutes. Cet homme est d’ailleurs joué par Brian Lipson, qui interprétait aussi son père. On sait l’attachement qu’Alice éprouvait pour son père, mais cela pose quand même question. En outre, comme me l’a fait remarquer un autre spectateur à la sortie : Jacob est un rescapé des camps ; or son fils, bouleversé par la mort de son père, jette ses cendres dans leur salon après une dispute. Doit-on voir là une référence moyennement subtile aux crématoires ? Ou bien j’ai tout simplement l’esprit mal tourné. Zeldin survole les traumatismes de ses personnages comme s’il suffisait de les montrer pour les faire exister et permettre au spectateur de s’y identifier. Cette fin bâclée, en plus d’être frustrante, frise le mauvais goût. Enfin, que penser de son double, ce fils rebelle, qui finalement veut connaître la vie de sa mère. On n’a de toute façon pas le temps d’y penser, puisque la pièce se clôt au moment où le sujet est amené. Le rideau tombe sur les mots aussi creux que grandiloquents d’Alice : « I feel like forgiveness is near. » 

Mon compte-rendu est bien dur et j’en ai conscience. J’aimerais donc prendre un peu de distance pour le conclure. Après avoir écrit ces lignes, j’ai pu discuter avec un homme, père de quarante ou cinquante ans, qui m’a dit avoir adoré la pièce. Certes, il va très rarement au théâtre, mais il a en effet vu dans la pièce une représentation fidèle de la vie rocambolesque qu’a pu être celle de ses parents. Alors, je suis peut-être biaisé et blasé parce que je vais plus souvent au théâtre, et que mon intérêt pour les aspects techniques de la mise en scène entravent mes sentiments. Ou bien simplement, je manque de maturité. La création de Zeldin m’a semblé assez plate, sans reliefs ni risques esthétiques ou politiques. Bref, elle me laisse de marbre. Mais il ne faut pas oublier qu’il n’y a rien de rédhibitoire : beaucoup peuvent légitimement y trouver leur compte. 


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