Et si c’étaient eux ? – texte et mise en scène de Christophe Montenez et Jules Sagot 

  • vu le filage du 22 septembre au Vieux-Colombier

(spoilers)

Un divertissement édifiant qui mobilise le spectateur. Une pièce bien méta, comme on dit. Et si ma conscience politique ne sort pas diamétralement changée de l’expérience que propose la pièce, au moins, on rigole bien.

 

Bande-annonce sur Youtube, j’espère que vous n’aurez pas de pubs lol

La pièce consiste en une reproduction de jeu télévisé au plateau. Des retraités d’un hospice réservé aux ex-acteurs de la Comédie française sont confrontés à plusieurs épreuves. Le grand prix : la sauvegarde  des subventions qu’accorde l’État à leur établissement. On comprend que précédemment, deux autres équipes de retraités appartenant à des hospices similaires se sont prêtés au jeu, dans l’espoir de conserver leurs avantages et l’honneur du théâtre qu’ils ont servi.  Seulement la pièce va plus loin : le public est intégré au jeu, puisque nous endossons le rôle des spectateurs en direct du plateau de l’émission. Nous avons donc accès à l’envers du décor pendant chaque page de pub. 

Pas de portes ouvertes enfoncées : c’est au spectateur de comprendre tout ce que je viens d’énoncer, car aucune clef ne lui est tendue au départ. Le spectacle commence alors que toutes les lumières de la salle sont encore allumées : je pensais que c’était parce que j’assistais au filage de la pièce, mais non. Celle-ci commence bien par un pastiche de tests micro et de répétition des retraités avant le début de l’émission. Une couche supplémentaire de mise-en-abyme, en somme. Nous, spectateurs, déchiffrons donc peu à peu la situation dans laquelle nous sommes placés. C’est jouissif, une fois que nous avons intégré le dispositif, de se lancer corps et âme dans l’expérience. Il n’y aura pas d’interactions gênantes entre les acteurs et la salle : seulement des applaudissements et des rires francs, qu’on aura d’autant plus de plaisir à faire entendre que ceux-ci ont pleinement leur place dans l’intrigue. 

Pourtant, le concept en lui-même est risqué : faire une comédie mettant en scène des personnes âgées interprétées par des acteurs peut ne pas faire rire tout le monde. Enfin, cela reste une comédie : il s’agit bien là d’archétypes plus que de réels personnages. On peut néanmoins penser au fait qu’en prenant ce rôle, les acteurs se projettent aussi dans une situation qui sera probablement la leur dans quelques années. La gêne qu’on aurait pu ressentir du fait de l’exploitation comique de stéréotypes est rapidement évacuée. Peut-être au prix d’une angoisse inéluctable face à l’avenir qui nous attend ;  mais l’on rit, sans aucun doute. Par ailleurs, puisque la pièce a une indéniable teneur politique, j’avais peur qu’elle s’embourbe très vite dans un message vaguement de gauche qui ne dise absolument rien d’autre que « regardez, je suis de gauche ». Finalement une sorte de left-washing de la pièce. Le message politique demeure assez sobre, bien que central : les EHPAD privés sont un enfer, et l’on se dirige rapidement vers une dystopie néolibérale ou les retraités sont contraints de se soumettre à des jeux avilissants pour survivre. Mais finalement, que m’importe, lorsque c’est une bonne comédie qui ne prend pas son spectateur pour un idiot et sait jouer avec subtilité des procédés du comique. Enfin, j’avais peur que le seul moyen de mettre un terme à l’émission, et donc à la pièce, soit de tout faire péter, de couper court au programme. Pour ne pas avoir à choisir entre un hospice ou un autre, la solution de facilité serait que l’émission capote après le soulèvement heureux des retraités contre la société qui les opprime. 

En effet, le moment arrive : un des retraités s’emporte, menace l’insupportable présentateur, tout le décor commence à s’écrouler ; les deux plus âgés se mettent à parler alors qu’ils n’avaient pas pipé mot jusqu’ici, dans une scène vaguement poétique et clairement lugubre. Je me suis dit : c’est bon, on y est. Ils ne savaient pas comment finir : tout pète et on finit sur un flou poétique parce que ça fait réfléchir, bien sûr. Mais non, on retombe sur nos pieds, et l’émission se termine. Une fin bien cynique, qui était aussi prévisible : mais au moins, la boucle dramaturgique est bouclée. On en ressort avec l’impression d’avoir vu un projet abouti et complet. Bref, un bon début d’année.


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