Par Autan – mise en scène et scénographie de François Tanguy, création du Théâtre du Radeau

  • vu le 12 novembre au T2G – Théâtre de Gennevilliers

Je vais être honnête : je ne sais pas très bien comment aborder Par Autan. Voilà ce que je me suis d’abord dit. J’aurais pu commencer mon compte-rendu ainsi :
« Malgré mon penchant pour les scénographies à l’esthétique marquée et pour les tableaux audacieux, j’ai du mal à me laisser complètement séduire par le Théâtre du Radeau. Je ne suis pourtant pas récalcitrant face au théâtre d’images et de mouvement – au contraire, cela m’attire et attise ma curiosité – mais là, je me suis un peu ennuyé. Le décor est fascinant, l’œil s’égare, s’attarde sur un coin, un angle, sans jamais s’arrêter ; les acteurs vont et viennent, se métamorphosent, au rythme de la musique qui les porte ; tout est sujet à changement, tout change, et c’est beau, et c’est chouette. Mais bon, est-ce assez pour me satisfaire totalement ? Bref, quelque chose doit m’échapper. »
Et c’était en effet le cas. Mais cela, je l’ai découvert trop tard.

Alors pour faire court : on se laisse facilement porter par le spectacle Par Autan – après tout, l’autan est un vent fort. Tout y est en mouvement, jamais rien n’y est définitif. C’est chouette, c’est beau… mais ça me laisse un peu de marbre. C’est que pour totalement apprécier l’ultime création du Théâtre du Radeau, il faut à mon avis connaître un peu l’histoire et les traditions de la compagnie. Dès lors, on ne le perçoit plus du tout de la même manière. Dès lors, Par Autan devient touchant et nous fait un peu chavirer.

Petit teaser traditionnel du Festival d’automne.

Un bon spectateur est un spectateur en forme

Deux problèmes dont je me suis rendu compte a posteriori : déjà, j’étais fatigué, il faisait très sombre dehors. J’étais ainsi dans une mauvaise disposition pour apprécier la performance du Théâtre du Radeau à sa juste valeur. Ce n’était pas désagréable pour autant : je me suis d’autant plus facilement laissé porter par cette sorte de ballet théâtral. Musique, bribes de textes célèbres, éléments de décors disparates qui se déplacent, se déconstruisent et se reconstruisent : tous ces éléments s’activent sans prendre le dessus l’un sur l’autre. Un esprit fatigué comme le mien est donc baladé de l’un à l’autre sans qu’on demande rien d’autre de lui. Jamais, cependant, je n’ai réussi à percer cette sorte de brume qui entourait la pièce. Pas d’émotions fortes, pas de petit moment qui puisse me faire dire que ça, oui, cétait époustouflant. Par Autan, c’est un doux parfum, un moment agréable, mais dont il ne me reste pas grand chose après coup ; d’ailleurs, il n’y a pas grand chose à penser sur le moment non plus. Et je ne dis pas ça en mal. Mais cela reste un peu trop léger et insaisissable pour moi. En bref, je réalise que l’état d’esprit dans lequel on est lorsqu’on rentre dans la salle influe beaucoup sur la perception que je peux avoir de certains spectacles. 

Le deuxième problème, plus central, c’est que le Théâtre du Radeau a toute une histoire dont je n’étais pas au courant. Il s’agit là d’un facteur important à prendre en compte. Les deux problèmes sont d’ailleurs liés : si j’avais su en amont quelle était la démarche de leurs spectacle, j’aurais pu me préparer et adopter une posture plus active dans ma réception du spectacle. Par ailleurs, j’ai appris sur le tard le décès en début d’année de François Tanguy, le metteur en scène historique de la troupe. Par Autan est leur dernière création et a donc une aura toute particulière, car la pièce porte avec elle et le deuil et l’histoire du Théâtre du Radeau. 

Le Théâtre du Radeau en quelques mots

Le Théâtre du Radeau, comme je l’ai appris trop tard, est une troupe ancienne, dont Tanguy était le metteur en scène depuis 1982, et qui touche malheureusement à sa fin. Sacré parcours donc. Je vous résume à peu près ce que j’en ai appris en cours. À partir des années 1990, le Théâtre du Radeau s’impose, acquiert un certain renom. On le définit comme un théâtre d’images, avec très peu de parole – ou bien du grommelot – et une esthétique aisément reconnaissable : c’est un théâtre de bric et de broc, autant dans la forme que dans le fond. Les décors sont récupérés, recomposés, réutilisés, pour créer des scénographies complexes aux effets de perspectives, d’angles imbriqués, d’ombres et de cadres en mouvements. Le texte est traité comme un élément aussi important que tout le reste. La compagnie travaille à partir de fragments de textes qu’ils distribuent traditionnellement au public à la sortie du spectacle. L’idée n’est pas que le spectateur reconnaisse les extraits, bien au contraire : tout doit être mouvant, il ne faut pas que d’image fixe ne naisse. Les textes composent donc une forme de tissu toujours changeant, jamais reconnaissable. Il en va de même pour la musique, composantes primordiales de leurs spectacles. Il s’agit souvent aussi de morceaux reconnus (qu’ils soient classiques ou plus contemporains), découpés et réagencés, pour que l’oreille ne s’y attarde pas. Tout cela s’inscrit dans une logique foraine de théâtre qui fait beaucoup avec peu. 

En parallèle, le Radeau, c’est aussi un lieu, au Mans : la Fonderie. C’est un endroit immense, une ancienne fonderie industrielle puis une succursale automobile, que le Radeau a investi petit à petit. Ils en ont fait un lieu dédié au théâtre. La page d’accueil de leur site déclare la Fonderie « lieu de création, de travail, de rencontre, de mélange, d’expérience… ». C’est qu’elle est en fait un véritable havre pour ceux qui ont besoin d’un lieu pour travailler sans contrainte, sans deadline. Des moyens et des espaces sont mis à disposition des collectifs et des compagnies. C’est pain bénit pour les théâtreuses et théâtreux. Pouvoir disposer d’espace et de temps, expérimenter, développer son art, c’est crucial. Ces lieux là sont à préserver absolument pour garder un théâtre vivant et en évolution. S’ils disparaissent, c’est la fin du théâtre de création et d’innovation. 

Accepter de se laisser porter

Dans l’ignorance de tous ces éléments, il est facile d’être pris d’agacement. Je reconnais par là du Tchekhov, du Shakespeare ou du Beckett, mais à peine interprété par des acteurs vieillissants. J’entends certaines personnes rire, moi ça ne me fait même pas sourire. Les scènes sont connues, mais n’existent sur scène que sous forme de spectre. Je me dis que c’est mal joué, mais là se trouve la clef : ce n’est pas joué. Le texte est simplement porté dans l’univers sensoriel du Théâtre du Radeau. De ce point de vue, c’est réussi. Il faut aussi noter que les deux derniers spectacles de la compagnie étaient plus chargés en texte que les précédents, ce qui n’aide pas à saisir d’emblée la logique esthétique du spectacle. Le profane tel que moi est décontenancé, puisqu’il s’attend, s’il y a texte, à ce qu’il y ait une intrigue. Ce n’est pas le cas, ici. Mais l’univers de François Tanguy vit bel et bien.

Malgré ma fatigue, en effet, je reste investi, à défaut d’être totalement acquis au spectacle. Je cherche à saisir du regard ce qui se cache derrière un panneau traversé d’une lumière orangée. La scénographie agit comme la canopée d’une forêt qu’on observerait du haut de notre siège. Notre curiosité est sans cesse attisée : quel monde y a-t-il derrière ? En tout cas, des figures des acteurs viennent et sortent de cette sorte de diorama. Ils transportent parfois avec eux des morceaux de mur comme des morceaux de paroles. L’éclairage et l’agencement des éléments révèlent un espace ou un autre. Une sorte de planche, placée à l’avant-scène, devient un ponton, un passage escarpé à traverser face à un vent puissant, un banc. On se raconte ce qu’on veut, on bien même on observe, curieux, sans rien se raconter. 

Des extraits du spectacle. Oui, une fois n’est pas coutume, c’est sur Vimeo. Le T2G ne fait pas tout comme tout le monde.

Conclusion

Voilà ce que je garde du spectacle : la curiosité. Alors certes, tout en trouvant cela beau et doux, je me suis un peu ennuyé. Mais je n’ai jamais décroché. Oui, c’est un objet curieux, qui accroche nos sens et développe en nous une autre forme de perception et de réception. Il n’y a pas tellement de but à envisager. On accepte le spectacle comme il est. Les créations du Théâtre du Radeau sont portées par une conception unique de la scène. Cette vision est aussi cohérente que puissante. Il faut donc faire l’effort de la comprendre pour la juger à sa juste valeur. J’admets ne pas être transporté par leur esthétique. Mais cela ne concerne que moi, et je dois quand même reconnaître qu’elle fonctionne à merveille.

Je regrette seulement de n’arriver qu’à la fin de l’aventure du Radeau. J’ai été un peu décontenancé en entendant le rapide hommage à François Tanguy lors du salut. J’ai bien senti que j’assistais au terme d’une longue histoire que je ne connaissais pas, et donc d’être privé d’émotions que j’aurais pu ressentir sinon. En sortant, j’entends une dame dire qu’elle avait pu voir toutes les productions du Radeau, ou presque. Quel sentiment étrange cela doit être, de se dire qu’on vient les voir pour la dernière fois. Enfin, une petite alcôve est dédiée au croquis et au schéma de scénographies de différentes créations. Trop fatigué, appréhendant le long trajet de retour, je n’y suis resté qu’une minute. J’aurais dû y rester plus longtemps. Si j’avais su… Mais vous, maintenant, vous savez. Je vous recommande d’aller en faire l’expérience.


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