- vu le 16 juin à la Comédie-Française
Voilà donc le dernier spectacle que je serai allé voir cette année. Silvia Costa propose une version concentrée de la pièce de Shakespeare, riche autant en meurtres qu’en rebondissements. C’est une mise en scène assez paradoxale. Elle est à la fois extrêmement sensorielle, misant beaucoup sur le visuel et le sonore, et assez anti-spectaculaire. Elle est aussi frappante que désincarnée.
La metteuse en scène se dit attirée par « l’irrationnel » : je m’attendais à être emporté par la langue shakespearienne, mystifié par le récit de la chute de Macbeth portée par la folie. J’en ressors un peu mitigé, bien qu’impressionné par les exploits scénographiques et plastiques du travail de Silvia Costa. Il y a là en tout cas, à mon avis, une bien meilleure proposition d’adaptation que la version boursouflée et ennuyeuse de Stéphane Braunschweig en 2018.
Il est intéressant de noter que Braunschweig comme Costa accordent une place extrêmement importante à la scénographie. Ce n’est pas dû qu’à l’intérêt qu’y porte l’un, ou à la formation de plasticienne de l’autre. La pièce et ses scènes d’hallucinations, de folie et d’oracle se prête particulièrement aux expérimentations visuelles et sonores. Chez Braunschweig, le jeu, très plat, en pâtissait ; on se perdait dans l’histoire sinueuse de Shakespeare. Silvia Costa évite ce travers : l’intrigue nous est spoilée du début à la fin sur une page et demie du programme. Elle est ramassée, ramenée à ses événements les plus essentiels : les assassinats, les visions, les doutes, le suicide. Ce fil est suivi à la lettre sur scène.
Une mise en scène cauchemardesque : bonne ou mauvaise chose ?
Le spectateur est donc invité à se laisser porter et surprendre non par l’intrigue, mais par les choix de mise en scène. Sur scène, un anneau gigantesque pèse sur les personnages, comme la promesse d’une couronne – ou comme une épée de Damoclès. Il y est inscrit en latin : Ante faciem tuam ibi mors (devant ton visage, la mort). Le fronton d’une église sort ensuite du brouillard ; de l’épaisse obscurité de ses ouvertures béantes sort un confessionnal. La structure elle-même, composée de trois cellules, sert de porte vers les enfers, ou bien de miroir où apparaissent à Macbeth ses visions de Duncan et Banquo dont il a causé la mort. À la fin, un immense carillon évoquant les barreaux d’une cage descend des cintres : l’heure de Macbeth a sonné.
On a ainsi vraiment l’impression d’assister à un cauchemar, un véritable cauchemar dont on peine à sortir. Au fond de nous, on sait comment l’histoire va se finir, mais l’on est toujours surpris par les formes invraisemblables que prend le plateau, espace vague et effrayant qui pourrait être la scène d’un roman gothique. Le formidable travail sonore joue aussi sa part : sons de cloches, bruits de fonds lancinants, mystérieuses voix en provenance du public. Le son en lui-même est souvent difficile à identifier, ce qui le rend d’autant plus pesant.
Cette sensation de rêve éveillé est renforcée par le jeu des acteurs. C’est qu’il s’agit plus d’incantation que de jeu à proprement parler. Leur parole semble toujours déconnectée de leur corps, comme si leur voix venait d’ailleurs. Elle se retrouve ainsi sur le même plan que la bande sonore de fond, omniprésente. Tous les personnages sont fantomatiques : leurs corps ne sont que des coquilles, vestiges de personnages morts dès le lever du rideau. Tous les hommes, en soutane noire, ainsi que toutes les femme, en longue robe de même facture, errent comme des spectres. Les allusions sexuelles – Lady Macbeth qui montre ostensiblement les dessous de sa jupe à son mari, ou celui-ci qui y fourre sa tête après qu’elle lui a annoncé sa (fausse) grossesse – mettent d’autant plus mal à l’aise que les personnages sont dépourvus de sensualité, de toute corporéité. Ils agissent comme des cadavres qui essaieraient d’imiter le comportement des vivants.
Ennuyé, mais content
Toute signifiante et intéressante que puisse être la démarche de mise en scène et de direction des acteurs, elle m’a laissé un peu de marbre… Simplement parce que je me suis un peu ennuyé.
Je crois avoir apprécié la technique irréprochable du spectacle. C’est définitivement une pièce que j’ai envie de recommander. Après avoir parcouru le programme et y avoir réfléchi, je pense même qu’il est impossible de dire que le texte de Shakespeare ait servi de simple prétexte à la metteuse en scène – c’est-à-dire qu’il ne soit qu’une expérimentation de forme sans fond.
Silvia Costa porte ainsi un véritable regard sur Macbeth. Pour elle, la pièce parle d’anthropocène : hubris de l’homme et de ce qu’il inflige au vivant. Le propos, bien que très général, ne semble pas tiré par les cheveux pour autant. Je pense d’ailleurs que tous les procédés qu’elle met en œuvre sont autant de clefs de lecture qui peuvent dévoiler bien plus de l’œuvre, dès lors qu’on a envie de s’y pencher un peu plus.
Mais si l’on prend le spectacle dans son ensemble, il peine à captiver. Le jeu est très monotone, l’intrigue à rebondissements est lissée, les personnages n’ont plus aucun relief. Tout cela s’explique, se comprend et s’interprète. Mais ne donne pas vraiment envie d’aimer la pièce. Mine de rien, je suis content que la Comédie-Française se permette de prendre des risques avec des pièces très connues, qui attirent donc un public qui n’est vraisemblablement pas la cible première de ce genre de travail. Il faut dire que j’étais très mal placé, mais que j’ai pu de plus en plus étendre mes jambes au fur et à mesure que les rangs s’éclaircissaient autour de moi : beaucoup de gens sont partis. Mais beaucoup sont restés aussi, et la pièce reprend l’année prochaine. Hâte de voir ce qu’on nous proposera l’année prochaine, donc.

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